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les fiancés
2010

J’étais venu à Naples voir Cristina. J’aimais l’idée de découvrir la ville depuis sa vieille Fiat cabossée. La nuit s’était affalée ; nous roulions sur la via Manzoni qui surplombe le golf de Naples, chahutés par le bitume constellé de flaques de pavés et lacéré à intervalles réguliers par les racines des pins parasols.

C’est alors que j’en vis une première, garée sur le trottoir, les vitres entièrement recouvertes de pages de journaux. Et une deuxième…une troisième…jusqu’à ce que le long virage dévoile un cortège immobile de voitures. Les fenêtres occultées tantôt méticuleusement, tantôt dans une hâte manifeste. Devançant ma question, Cristina me révèle alors, dans un grand rire blasé : « ils font l’amour ! ».

Quelques années plus tard, je revenais photographier les amants de la rue Alessandro Manzoni. Je les retrouvais garés là, derrière leurs rideaux de fortune, jeunes amoureux en quête d’intimité ou vieux couples illégitimes. De jour comme de nuit, cherchant dans un réflexe grégaire et animal la sécurité du nombre face aux prédateurs isolés. Au petit matin les trottoirs de la rue désertée sont jonchés de journaux chiffonnés, comme les draps froissés et les seuls témoins des ébats de la veille.

J’ai choisi de respecter formellement le cadre imposé par ce semblant de vie privée en plein espace public. La série met le spectateur dans la position du passant, les photographies ne dévoilant rien d’autre que les signes extérieurs du huis clos intérieur. La rue porte si bien le nom d’Alessandro Manzoni, figure de proue du romantisme italien du XIXe, que je lui ai emprunté le titre de son roman phare, Les Fiancés.

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