les freres-pareils
2014
résidence de création L'Oeil Urbain
Eric entrouvre la porte à moitié et me demande de patienter avant de disparaître à l’intérieur. Comme pour tout avec ces deux là, ça prend des plombes. Il sort finalement la tête et me fait signe d’entrer. Je dois me faufiler pour franchir la porte, qu’il ouvre à peine. Une fois à l’intérieur je pige enfin pourquoi. Ou plutôt non. On se serre tous les trois sur un minuscule rectangle long comme la largeur d’un couloir, large comme un paillasson. Devant nous, à droite, à gauche, s’étale une mer de sacs plastiques, remplis et placés méticuleusement les uns à côté des autres.
(Les Frères-Pareils, éd. Filigranes)
C’est à la médiathèque que j’ai rencontré Gilles, puis Eric. A moins que ce ne soit le contraire. Cheveux en bataille, sapes d’une autre époque et sacs plastiques en main, la dégaine « des jumeaux » interpelle forcément. Tout le monde à Corbeil-Essonnes, depuis toujours, semble les connaitre. C’est bullshit: personne ne les connait. Ils sont aussi barrés que leurs pulls, ça c’est clair. Mais les quelques braves qui les ont approchés ont tous été frappés par leur insatiable curiosité artistique. Sans parler de leur culture rock qui donne le tournis.
Ils ont eu la générosité de me laisser entrer dans leur vie, le temps de ma résidence. Pendant près d’un an à se fréquenter, une confiance et un attachement réciproques se sont installés. Ils m’ont laissé photographier à peu près tout ce que je voulais. D’abord les sujets de la série photographique, ils en sont insensiblement devenus les modèles complices.
Parallèlement, j’ai photographié la ville. Enfin, des bouts de ville. Vide, sans personne qui l’habite, ni même qui la traverse. Tels les décors pas encore démontés d’un drame qui vient de se jouer. On ne sait pas trop dans quelle histoire on a mis les pieds. Un peu comme moi quand j’ai débarqué à Corbeil, et quand je suis tombé sur ces frangins pas tout à fait pareils.