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Madec | Richard Pak
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Emmanuel Madec

Anyway...

Galerie Le Lieu, 2010

 

 

A l'instar des nouvelles de Raymond Carver, qui se terminent généralement sans réels dénouements, les images de Richard Pak sonnent comme des constats implacables. «Pursuit». Le titre fait allusion à la Déclaration d’Indépendance des Etats-Unis, qui mentionne le droit de chacun à «la vie, la liberté, et la poursuite du bonheur». Poursuivre est toujours possible, mais atteindre semble plus ardu. Le «rêve américain» est malheureusement, pour de nombreux individus, un mirage ténu qu'ils entrevoient à travers les écrans de télévision. L'une des photographies de la série, nous y renvoie directement : Dans une chambre, un couple est happé par un programme de nuit, diffusé par un moniteur, dont la lumière éclaire les visages. En se rendant dans ce pays qui le fascine depuis longtemps, le photographe ne s'est pas contenté de vérifier si les images mentales, générées en lui par ses diverses sources d'influences, incombaient bel et bien à une existence tangible. Ce serait mal connaître ses intentions, que de croire en un prélèvement à cette seule fin. En marge de cette idée, il vise avant tout, l'expérience de la rencontre et de la proximité des êtres, pour nous mener au cœur d'une fiction modelé dans la vie réelle : une histoire dont la source est autobiographique comme nous l'indique le recueil «Please, come again», écrit par Richard Pak et accompagnant l'exposition. Les thèmes sont aussi Carverien. Le photographe ne dément d'ailleurs pas être adepte des récits de l'écrivain américain qui l'ont inspiré, tout comme ceux de John Fante et de Truman Capote. Couple, séparation, dépendance, sont les leitmotive de ce récit, organisé en plusieurs couches et tissé avec une imagerie manifestement américaine dans ce qu'elle a de plus identifiable. Des fractions d'existences, des scènes de vies authentiques, conduisent la narration de ce parcours où l'on ressent à chaque instant l'indiscutable présence du photographe. Là, assise dans son salon, une femme, le regard d'un bleu glacial, fixe intensément le visage de son mari, se tenant debout au dessus d'elle. La facture appartient au cinéma, le champ-contrechamp accompagnant souvent le suivi d'une conversation. En fixant cette image nous activons la mémoire de nos expériences visuelles, puis une histoire s'écrit en nous : L'aime-t-elle toujours ? Une colère qui se détache ? Ou bien lui, dont on ne voit pas le visage, qui lui dirait simplement «Will you please be quiet, please !»* Ou encore, cette femme, aux yeux fous, de terreur et de rage. Elle s'appelle Tina. Elle est immobile au milieu de sa cuisine. Isolée dans son destin, l'horloge en épée de Damoclès. Puis, les photographies de Lloralyn et de son homme, tous deux amaigris par les prises quotidiennes de drogues, par ces shoots toujours plus urgents. On est assigné à Tulsa, là ou il y a trente ans, Larry Clark enregistrait déjà la vie de jeunes gens dépendants. Pourtant, nous sommes bien à Elkins, en 2009. «La vie, la liberté, et la poursuite du bonheur » disent-ils. Trois exemples, trois milieux distincts, atteignant le même rang dans leur traitement photographique. L'issue apparaît alors comme inéluctable pour une société sclérosée par son propre immobilisme. Ainsi, cet homme, pourrait en être la métaphore. Celui fumant une cigarette au réveil et à la figure déterminée. Il semble pourtant qu'il ne quittera pas de si tôt son assise. On comprend alors l'angoisse apparente de ces deux enfants nommés «The Twins», effrayés par la perspective de leur avenir, semblant s'annoncer hors champ. «Pursuit» peut cependant se défendre de dresser un tableau trop sombre. L'auteur ouvre en effet une fenêtre d'espoir par le regard qu'il porte aux femmes. On y trouve un mélange d'empathie accompagné de tendresse, déjouant du même coup la possible tentation de verser avec complaisance dans la description de la misère humaine. Les femmes sont montrées comme des forces conscientes de leur situation, avec une galerie de portrait qui impose leur présence caractéristique dans la série. Ainsi, Michelle nous révèle sa ligne de conduite : «Follow your dreams». Une phrase tatouée au dessus du sein, à l'envers, afin d'être lue chaque matin, lorsqu'elle se découvre face au miroir de sa salle de bain. Sans doute craint-elle d'oublier son chemin, éreintée par la quête d'une notion repoussée plus loin à chaque avancée. Le bonheur. Avec ce travail réalisé au long court, Richard Pak, appelle donc a se réunir les phénomènes visuels liés à son parcours intellectuel. Il s'inscrit alors dans la démarche des artistes contemporains, engendrant des chroniques photographiques, à partir des situations qu'ils traversent. Le regard non intrusif du photographe, sur les protagonistes lui ayant accordé leur confiance, nous introduit donc dans certains périmètres de leurs vies privées. On peut aussi noter que plusieurs tessitures photographiques forment cet ensemble. L'instantanéité domine le projet, puis l'apparition d'images présentant des sujets tenant la pause, face à l'appareil, fait passer la narration du cadre de la fiction à celui du documentaire. Les personnages redeviennent soudain des personnes. C'est au long de ce chemin troublant, où l'on passe de l'un à l'autre, que le photographe souhaite nous faire entrevoir une parcelle des Etats-Unis qu'il a traversés.

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