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Papin | Richard Pak
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Florent Papin

Richard Pak, dans l’intimité des foules

Prussian Blue, 2016

 

Des ressources sont nécessaires à l'artiste qui refuse la facilité. Il en fallut sans doute beaucoup à Richard Pak, élevé au rock indépendant, pour consacrer son premier travail photographique aux fans de Boys (et Girls...) Bands. Nous étions en 1998. Le dernier astre du rock, Kurt Cobain, s'était éteint quatre années plus tôt. Pourtant, sous toutes ses formes, la musique continuait d’émettre, demeurant fidèle à ce que l'on attend d'elle : procurer de l'émotion. Cette émotion, le photographe irait à nouveau la saisir, de 2011 à 2013, depuis la fosse de nombreux concerts. Les clichés de l'exposition Je ne croirai qu'en un Dieu qui danse, montrée en 2015 à l'Artothèque de Vitré puis au festival Portrait(s)#3 de Vichy, procèdent de ce dispositif. Délimitant une scène en négatif leur spectacle est celui, fascinant, de l'intimité des foules.

 

À quoi ressemble une émotion esthétique ? À une nudité, est-on tenté de répondre devant les photographies de Richard Pak. Celle de l'intime, très certainement, dont l'expressivité du corps donne lecture : les portraits de la série « Je ne croirai qu'en un Dieu qui danse » disent tour à tour le feu, la noirceur, la plénitude, le transport. Les visages, jeunes pour la plupart, sont ceux de spectateurs assistant au concert de leur idole. Dos à la scène, le photographe capture les traits, au grand angle de ses appareils argentiques.

 

Mais d'ailleurs, s'agit-il véritablement de portraits ? Pas si l'on se réfère à la définition qu'en donne Richard Avedon, « l'image de quelqu'un conscient d'être photographié et dont la réaction à cette information fait partie intégrante du cliché ». Les visages sur lesquels s'attarde Richard Pak ne craignent pas d'être surpris, ils n'aspirent pas à être dérobés, pour la raison simple qu'ils ne s'appartiennent plus tout à fait. Voyez ce jeune homme que l'on dirait sorti d'un film de Nicholas Ray, cette jeune femme aux mains jointes dans une attitude de prière, dont les lunettes raides plient sous la puissance d'une grâce : que capture d'eux le photographe sinon ce qui s'en est échappé, une extase dont l'enchantement de la musique, le magnétisme de l'idole seraient les véhicules ?

 

Le titre de la série est emprunté au Zarathoustra de Nietzsche. Rappelons-nous ce que ce dernier écrivait dans Le Gai savoir : « Qu'est-ce que mon corps tout entier attend au juste de la musique ? Son allègement, me semble-t-il ». De là cette équivalence des masses par laquelle les émotions saisies par Richard Pak deviennent le corps du sujet. Une loi qu'accrédite la physique des foules, ce lieu de communion où l'élan intime s'achève en débordement de soi. Au point, parfois, de forger des mythologies. Et il y a aussi de cela dans le travail de Richard Pak, dont les cadrages serrés, le noir et blanc, le grain épais confèrent aux images une intemporalité qui célèbre en la poursuivant l'iconographie rock.

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