Michel Poivert, historien de la photographie
2022
Depuis près de vingt-cinq ans, le travail photographique de Richard Pak est conduit avec constance, au gré de voyages et de résidences. Organisée en séries ou en épisodes, l’œuvre se bâtit de façon empirique, entendons sans dogme ni programme, sans systématisme non plus. Force est toutefois de constater, comme chez tout artiste, que le corps de l’œuvre est structuré autour de grandes notions et de recherches formelles adaptées. Il s’est ainsi imposé, de façon plus ou moins intuitive, une “manière” propre à Richard Pak.
Richard Pak a une passion pour l’insularité. Aujourd’hui encore son projet en cours concerne une île (Nauru, Océanie) ; pour autant il n’est pas en quête d’exotisme, ce qui l’intéresse est l’observation d’un “vase clos” où l’humanité donnerait à voir ses caractéristiques. Une sorte de laboratoire poussant à son maximum les comportements des humains dans les relations qu’ils entretiennent entre eux comme avec la nature. Observer comment la distance entretenue avec les sociétés occidentalisées disent quelque chose de nous-mêmes. Pourtant, Richard Pak n’est pas anthropologue (ou alors sur un mode poétique), son style est à la fois réaliste et allégorique, tant il sait faire de la description une forme de suggestion. Sa première grande œuvre – Pursuit, réalisée aux États-Unis - pourrait-on rétorquer, n’est pas liée à l’insularité. Certes, mais elle comprend la société américaine comme une réserve d’humains, confrontés aux affres du système capitaliste, une sorte de société sous cloche dont il sait intégrer au plus haut degré l’intimité. Un peu anthropologue quand même, finalement, mais selon la méthode de « l’observation participante » (Bronislaw Malinowki).
Esthétiquement, Richard Pak on l’a dit, observe un certain réalisme. Pas d’effet, mais des rapports de corps à corps, l’oubli de sa présence pour la révélation de l’existence de l’autre. Une photographie assez classique, droite dans ses intentions, fidèle à ses valeurs d’authenticité : première étape pour entrer dans la chair des humains et de leurs rêves (souvent brisés) américains. Ce corpus inaugural, nous avons souhaité l’éclater pour que toute cette humanité vienne dialoguer avec des paysages, son tropisme marin, mais aussi des expériences plasticiennes. Comme une sorte d’énergie vitale qui viendrait en permanence activer le désir de création.
Parmi les corps qui se trouvent ainsi conjugués, le travail sur les frères jumeaux et leur névrose commune (ils remplissent leur intérieur de sacs de courses en plastique) qui évoque une sorte de consumérisme projeté sur les planches du théâtre de l’absurde. Ou bien encore les portraits extatiques figés dans un noir et blanc brutal des spectateurs de concert : c’est ici l’esprit qui prend le dessus, et qui dialogue avec les corps nus de Pursuit. Plus loin l’expérimentation des portraits dissout dans les buées et les vapeurs propose, elle aussi, de transformer la présence des êtres en une image mentale.
C’est une parataxe photographique, un assemblage sans liaison didactique, pas tout à fait un montage, mais une proposition qui révèle dans ses disruptions ce qu’il y a de commun aux humains : leurs attirances, leurs désirs de départ, leurs névroses réparatrices. Leur réalité physique et leur expression spirituelle. Et c’est l’idée même de photographie qui est travaillée sans qu’il ne soit question d’une cohérence stylistique de façade et encore moins d’un processus invariant qui vaut caution esthétique. Une image c’est une partie de tangible (l’épreuve) et une partie d’intangible (la représentation et ses résonances). Ici il faut être réaliste, là symbolique, ailleurs métaphorique, que l’approche soit expérimentale et plastique, classique et documentaire, sociologique et fictionnelle, Richard Pak affirme sa liberté d’écriture.
Car ce qui se joue est souterrain, au plus profond de ce qui travaille sa représentation du monde : le sentiment océanique, la modernité tardive, la puissance des affects, l’incarnation par l’image. La nécessité de voir vivre pour exister.